Le Dhammapada
est l’un des textes bouddhiques les plus anciens. Il est considéré
à la fois comme un exposé simple et clair du bouddhisme originel, accessible
à tous et utile à la pratique quotidienne, et comme un chef-d’œuvre
de la littérature indienne, dans le style poétique kavya.
Ce texte fait partie
du Khuddaka-nikaya (Recueil des textes courts), qui lui-même fait
partie du Sutta-pitaka (Corbeille des Sermons du Bouddha),
l’un des trois grands ensembles du Tipitaka (Trois Corbeilles)
ou Canon pali.
Pour bien localiser
le Dhammapada, imaginons trois grandes corbeilles, dans lesquelles
ont été collectés des textes rédigés sur des feuilles de palme, au
terme de longues séances de récitation (ou plutôt de remémorisation)
des enseignements du Bouddha par ses disciples, transmis oralement
de génération en génération. Il s’agit d’abord du Sutta-pitaka
(Corbeille des Sermons), du Vinaya-pitaka (Corbeille de la Discipline),
et plus tard de l’Abhidhamma-pitaka (Corbeille des Commentaires).
Le Sutta-pitaka contient plus de dix mille sermons, répartis en
5 recueils: Digha-nikaya (Recueil des textes longs), Majjhima-nikaya
(Recueil des textes moyens), Samyutta-nikaya (Recueil des textes
composés), Anguttara-nikaya (Recueil des textes divers) et Khuddaka-nikaya
(Recueil des textes courts). Le Khuddaka-nikaya contient 15 sections,
dont la 2è correspond précisément au Dhammapada.
La version usuelle
du Dhammapada est en pali, proche du maghadi qui était la langue
parlée par le Bouddha, puisque celui-ci séjournait le plus souvent
dans le royaume de Maghada, correspondant à l’Etat de Bihar
actuel. Il en existe de nombreuses traductions dans diverses langues, notamment
en anglais par les Vénérables Narada, Buddharakkhita et
Thanissaro
(consultables sur Internet), et en français par Lê Dông, La Voie
du Bouddha, Editions du Seuil, 2002.
Le Dhammapada
tire son nom de Dhamma (Dharma en sanskrit), l’enseignement
du Bouddha, et de pada, qui signifie " paroles " ou " versets,
stances ", mais aussi " voie ". Il est donc souvent traduit par " Les versets,
ou stances du Dhamma " ou bien " La voie du Bouddha ".
Il est composé de
423 versets (ou gatha), divisés en 26 chapitres (ou vagga),
avec des intitulés divers, comme " les versets jumeaux, la vigilance,
les fleurs, le sot, le sage, la punition, la vieillesse, le bonheur…
". Chaque verset est formé de 4 ou 6 courtes phrases plus ou moins en
rimes.
D’après la tradition
Theravada,
où le Dhammapada reste le texte le plus populaire, chaque verset
a été exprimé par le Bouddha en réponse à un épisode particulier,
comme le précisera le grand commentateur Buddhaghosa au Vè s.
L’ensemble contient le message du Bouddha sous divers aspects,
au cours des 45 années de sa vie passées à enseigner en voyageant sur
les bords du Gange, à tous ceux qui veulent l’écouter, sans
distinction de caste ou de religion.
Chaque verset contient,
malgré sa simplicité apparente, un enseignement particulièrement riche
et profond. Plutôt qu’une phraséologie compliquée, le Bouddha
emploie souvent des images simples, des exemples tirés de la vie quotidienne,
permettant une compréhension intuitive, directe, tels " la roue qui suit
le sabot du bœuf, un roc qu’aucun vent n’ébranle, la crue emportant
un village endormi, le monde en flammes, l’eau glissant sur la feuille
de lotus, etc. ". Mais ce n’est pas en parcourant une fois ces versets
que l’on saisira tout leur sens, il faut les relire souvent et y méditer
longuement pour s’imprégner de la quintessence de la doctrine. A chaque
lecture, le Dhammapada nous insuffle une grande énergie, nous éclaire
davantage et nous procure un sentiment de paix et de sérénité.
En raison de la longueur
du recueil, formé de 423 versets, il nous a semblé opportun d’en sélectionner
un certain nombre, par exemple 30. Ces 30 versets sont censés être les
plus représentatifs et de contenir la quintessence de l’enseignement
du Bouddha. Dans la citation de ces versets, nous ne suivrons pas
l’ordre de numérotation, mais les regrouperons plutôt par thèmes.
Nous commencerons par
les 2 premiers versets, faisant partie des versets " jumeaux " ou " parallèles
", car comme nous le verrons c’est une double proposition d’une même
idée. Ils sont d’une importance capitale, car d’emblée, en quelques
phrases, le cadre général du bouddhisme est fixé: tout réside dans
le mental, dans l’esprit.
1. L’esprit
précède toutes choses.
Il les gouverne,
il en est la cause.
Qui parle ou agit
avec un esprit mauvais,
La souffrance le
suit pas à pas,
Comme la roue suit
le sabot du bœuf.
(en pali : Manopubbangama
dhamma
manosettha manomaya
Manasa ce padutthena
bhasati va karoti
va
Tato nam dukkhamanveti
va vahato padam.)
2. L’esprit précède
toutes choses.
Il les gouverne,
il en est la cause.
Qui parle ou agit
Avec un esprit
pur,
Le bonheur s’attache
à ses pas,
Comme l’ombre
qui jamais ne le quitte.
Le thème suivant,
ce sont les raisons de suivre la voie, le Dhamma (enseignement du
Bouddha):
le constat tout d’abord que le monde est plongé dans la souffrance (dukkha),
la première des 4 Nobles Vérités (cattari-aryia-sacca).
146. Comment peut-on
rire et s’amuser
Pendant que le
monde est en flammes?
Plongés dans les
ténèbres,
Pourquoi ne cherchez-vous
pas la lumière?
Pendant ce temps, on
ne se rend pas compte du rare privilège de naître humain, de vivre dans
ce monde, et d’entendre le message du Bouddha:
182. Rare et difficile
est de naître humain,
Rare et difficile
est de vivre dans ce monde!
Rare et difficile
est d’entendre le Dhamma,
Rare et difficile
est la venue des Bouddhas!
194. Quel bonheur,
la venue des Bouddhas!
Quel bonheur, l’enseignement
du Dhamma!
Quel bonheur, l’entente
du Sangha!
S’entraîner
ensemble dans la discipline, quel bonheur !
En effet, la différence
est évidente entre le sot et le sage. Sot est celui qui ne réalise pas
qu’il est mené par les poisons que sont l’avidité, la haine et l’ignorance,
et qui ne suit pas la voie. Sage est celui qui en est conscient, et suit
le Dhamma:
62. " Mes enfants,
ma fortune ",
Se tourmente le
sot.
En réalité, il
ne s’appartient pas lui-même.
Alors, quel enfant
est à lui?
Quelle fortune
est à lui?
47. Celui qui cueille
avidement les fleurs,
Qui se laisse aller
dans l’intempérance,
La mort l’emportera,
Comme une crue
soudaine emporte un village endormi.
Alors que :
25. Par l’effort
soutenu et vigilant,
La discipline,
la maîtrise de soi,
Le sage se construit
une île
Qu’aucune crue
ne peut submerger.
20.Même s’il
récite peu les écritures,
Celui qui vit en
accord avec le Dhamma,
Ayant rejeté le
désir, la haine et l’ignorance,
Acquis la vraie
connaissance,
Libéré son esprit,
détaché de tout lien présent et futur, Recevra les bienfaits de la vie
vertueuse.
Ainsi, si l’on peut
choisir :
110. Plutôt que
de vivre cent ans
Débridé, sans
discipline,
Mieux vaut vivre
un jour
Dans la sagesse
et la méditation.
102. Plutôt que
réciter cent versets
Vides de sens et
inutiles,
Il vaut mieux une
parole du Dhamma
Qui apaise celui
qui l’entend.
L’entraînement avec
persévérance dans la voie conduira à un état de bonheur et de sérénité:
81. Comme un roc
solide,
Que le vent ne
peut ébranler,
Le sage n’est
guère troublé
Par la louange
ou par le blâme.
170. Comme une bulle
éphémère, ,
Comme un mirage
changeant,
Celui qui regarde
ainsi le monde,
Le Roi de la mort
ne verra pas.
Il est important de
réaliser, et c’est ce qui fait la différence avec les autres religions,
c’est que tout dépend de l’homme lui-même. Chacun est le seul acteur
de sa souffrance aussi bien que de sa délivrance:
165. Soi-même commet
le mal,
Soi-même devient
impur.
Soi-même évite
le mal,
Soi-même se purifie.
Pureté ou impureté
ne dépend que de soi,
Personne ne peut
purifier personne.
160. On est son
propre sauveur.
Qui d’autre pourrait
nous sauver?
Celui qui se contrôle
bien
Est comme un sauveur
rare.
276. Efforcez-vous
vous-mêmes,
Les Tathagatas
ne font qu’enseigner.
Celui qui persévère
dans la voie
Se libérera de
l’emprise de Mara.
Or, cet effort, c’est
précisément une victoire sur soi-même, qui vaut bien plus que toutes
les victoires. C’est se dompter soi-même, c’est contrôler ses actes,
ses paroles, ses pensées:
103. Même si sur
le champ de bataille
L’on a vaincu
de millions d’ennemis,
Le triomphe sur
soi-même
Est la plus grande
et plus noble victoire.
35. L’esprit est
rétif, rapide,
Fusant partout
à la fois.
Il est bon de le
dompter.
Un esprit dompté
est source de bonheur.
361. C’est bien
de contrôler le corps!
C’est bien de
contrôler la parole!
C’est bien de
contrôler la pensée!
C’est bien de
tout contrôler!
Le bhikkhu qui
se contrôle en tout,
Se délivre de
toute souffrance.
L’objet du contrôle,
ce sont les trois poisons, générateurs de souffrance: l’avidité (lobha),
la haine (dosa) et l’ignorance (avijja):
251. Il n’y a
pas de feu comparable à l’avidité,
Pas d’étau tel
que la haine,
Pas de filet comme
l’ignorance,
Pas de fleuve comme
le désir.
Le premier est en effet
l’avidité:
215. L’avidité
crée la peine,
L’avidité crée
la peur.
Qui a rompu avec
l’avidité
N’a plus de peine,
ni de peur.
199. Heureux nous
qui vivons
Sans avidité parmi
l’avidité.
Au milieu des gens
avides,
Nous vivons sans
avidité.
336. Celui qui dans
ce monde
A dompté son avidité,
Voit sa peine se
détacher de lui
Comme l’eau sur
une feuille de lotus.
Le deuxième poison
est la haine, qui part souvent de l’incompréhension, du malentendu,
et aboutit volontiers à la violence:
252. Faciles à
voir sont les fautes d’autrui,
Difficiles à reconnaître
ses propres fautes.
Des autres, on
les cherche soigneusement,
Les siennes, on
les cache, on les couvre.
129. Tous tremblent
devant le bâton.
Tous craignent
la mort.
De sa peur, on
peut ressentir celle d’autrui.
Ne tuez pas, n’incitez
pas à tuer!
201. La victoire
nourrit la haine,
Les vaincus vivent
dans la souffrance.
Heureux soit ceux
qui vivent en paix,
Refusant victoire
et défaite.
197. Heureux nous
qui vivons
Sans haine parmi
la haine.
Au milieu des gens
haineux,
Nous vivons sans
haine.
5. Jamais la haine
ne met fin
A la haine ici-bas.
Seul l’amour
met fin à la haine,
Telle est la loi
éternelle.
Enfin, le troisième
poison est l’ignorance, lui-même à l’origine des deux autres. Il
s’agit non pas d’un manque de connaissance, mais de lucidité et de
sagesse, lequel doit être combattu par la concentration juste (samma-samadhi)
et l’attention juste (samma-sati), deux sentiers parmi l’Octuple
Noble Sentier de la sagesse (atthangika-magga). D’où l’étroite
relation entre la concentration (samadhi) et la sagesse (pañña):
372. Sans sagesse,
il n’y a pas de concentration,
Sans concentration,
il n’y a pas de sagesse.
Qui possède à
la fois concentration et sagesse,
Se trouve déjà
près du Nibbana.
Pour terminer, voici
l’un des versets les plus connus, celui qui résume de façon la plus
simple possible l’enseignement du Bouddha, ou plus exactement
des Bouddhas, des parfaits Eveillés:
183. Ne pas faire
de mauvaises choses,
Réaliser de bonnes
actions,
Garder son esprit
pur,
Tel est l’enseignement
des Bouddhas.
Ce verset est bien
connu en chinois et en sino-viêtnamien:
Zhū è mò zuò,
Chư ác mạc tác,
Zhòng shàn fèng
xíng, Chúng thiện phụng hành,
Zì jìng qí yì,
Tự tịnh kỳ ý,
Shì zhū Fó jiào.
Thị chư Phật giáo.
Souvent cité parmi
les adeptes du Mahayana, il a été attribué à tort à Wū
Cháo, un maître Chán (Zen) de la dynastie des Táng.
On raconte que le vieux maître, qui vivait dans une hutte perchée sur
un arbre, fut un jour interrogé par le grand poète Bái Jūyì:
" Quel est l’enseignement essentiel du bouddhisme? " Wū Cháo
lui récita ce gatha. " Trop facile, rétorqua le poète, même
un enfant de 8 ans pourrait vous le dire! ". " Oui mais, cela, répondit
le maître, même un vieillard de 80 ans peine à le réaliser…"
En fin de compte, l’enseignement
originel du Bouddha, rapporté dans ces Versets, est très clair
et simple. Il n’est nullement question de spéculations métaphysiques,
de dissertation philosophique ou de foi religieuse. Tout part d’une constatation
psychologique fondamentale: la souffrance humaine, qui est le résultat
des illusions entraînées par l’avidité, la haine et l’ignorance,
et qui peut donc être combattue par le contrôle de soi ainsi que de ses
émotions négatives.
Ce message est d’ailleurs
en parfait accord avec le dernier gatha prononcé par le BouddhaGotama
avant sa mort, rapporté dans le Maha-Parinibbana-Sutta (Sutta de
la Grande Extinction complète) en pali:
" Ô bhikkhus! Soyez
attentifs et vigilants,
Observez les préceptes,
contrôlez votre mental.
Qui persévère
dans la voie du Dhamma et de la Loi,
Mettra fin à la
souffrance et au cycle de renaissance. "
Olivet,
18/10/2014
Trinh
Dinh Hy
A la mémoire
de notre regretté Maître,
le Très Vénérable
Thich
Thiên Châu,
qui nous a
toujours exhorté à lire et à relire ces merveilleux Versets
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